Page:Bourget - Les Deux Sœurs, Plon-Nourrit.djvu/141

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

auprès de Madeleine et de moi. Je vous répondrai en pleine franchise. Pour qui le commandant fréquente-t-il chez elle et chez moi ?… Ni pour l’une ni pour l’autre, que je sache – du moins jusqu’ici. Pas pour moi, puisqu'il ne m’a pas demandé ma main et que je suis veuve. Pas pour Madeleine, puisqu’elle n’est pas libre. Vous n’allez pas faire à ma sœur l’injure de penser qu’elle se laisse faire la cour, n’est-ce pas ?… Je vous préviens que si vous avez de pareilles idées, je ne vous le pardonnerai point… M. Brissonnet fréquente chez nous parce qu’il est seul à Paris, désœuvré, et que nous le recevons comme il mérite d’être reçu, après ses belles actions et ses malheurs. Tout cela est très simple, très naturel… Encore un coup, revenez à vous, François. Ai-je raison ?… »

Elle le regardait en parlant, avec un demi-sourire qui tremblait au coin de ses lèvres fines. Il y avait dans sa voix un je ne sais quoi de forcé auquel son interlocuteur ne se trompa point. Le métier du médecin est comme celui du peintre de portraits. Il habitue ceux qui l’exercent à des intuitions instantanées qui semblent tenir du miracle. Le plus petit changement d’une physionomie leur est saisissable. Quand ce pouvoir d’observation est au service d’une simple curiosité, l’homme peut ne pas bien traduire ces signes qu’il sait si bien voir. Mis en jeu par la passion,