Page:Bourget - Les Deux Sœurs, Plon-Nourrit.djvu/171

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loyauté d’honnête femme qui ne faillira jamais, tout son dévouement d’épouse qui se sent le droit et le devoir de garder pour elle seule le secret de ses tentations parce qu’elle sait qu’elle n’y succombera pas… « Mais, » continua-t-elle, « cela n’empêche pas que tu ne m’aies fait auprès d’Agathe un tort irréparable… Je t’ai si souvent dit qu’elle avait à mon égard une disposition un peu ombrageuse et que j’en étais peinée. Elle l’avait exercée à vide, jusqu’ici. Maintenant, elle va me haïr. Tu m’as aliéné son cœur, mon pauvre ami, le cœur de mon unique sœur, et pour une chimère, une insensée chimère !… »

– « Alors, » interrogea Liébaut, tu n’aimes pas cet homme ?… » De tout ce qu’elle venait de lui dire, le mari, si magnanime pourtant par nature, n’avait perçu, il n’avait retenu qu’un fait : ce démenti donné au soupçon qui le rongeait depuis tant de jours. Mais l’infaillible intuition de la jalousie ne se rend pas si vite. François avait faim et soif que sa femme répétât cette dénégation, qu’elle la précisât, qu’elle l’aidât à interpréter dans un sens favorable tant de petits signes dont il avait nourri son chagrin. En même temps il sentait que cette insistance était, en ce moment, une brutalité. Madeleine était si visiblement souffrante, qu’il était presque inhumain de prolonger une explication, très douloureuse si elle disait vrai, plus douloureuse si elle essayait de