Page:Bourget - Les Deux Sœurs, Plon-Nourrit.djvu/173

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Il la regarda. Elle continuait de lui sourire avec un pli d’infinie tristesse dans le coin de sa bouche entr’ouverte. Le tourmenteur, qui était aussi comme le héros de l’antique comédie, au titre poignant d’humanité éternelle, un « bourreau de soi-même », subit soudain, devant ce charmant visage dont il était si amoureux, un de ces accès foudroyants de remords comme les jaloux en éprouvent devant la funeste besogne de leur frénésie. Qui ne se rappelle le cri déchirant d’Othello devant Desdemona morte : « O femme née sous une mauvaise étoile ! Pâle comme ta chemise ! Lorsque nous nous rencontrerons au tribunal de Dieu, ton aspect présent suffira pour précipiter mon âme du ciel, et les démons s’en saisiront ! … Froide, froide, mon enfant ! Froide comme ta chasteté ! … » Certes les inquisitions angoissées du mari de Madeleine n’avaient rien de commun avec le geste du More assassin, et les susceptibilités du cœur dont il souffrait ne ressemblaient guère non plus à cette folie du héros shakespearien tombant d’épilepsie : « Leurs lèvres ! Est-ce possible ? Leurs lèvres ! Qu’il avoue !… Le mouchoir !… O démon !… » Pourtant ce fut bien par un même retournement violent de tout l’être que Liébaut se révolta brusquement contre sa propre passion. Il eut subitement l’horreur des paroles auxquelles il s’était laissé emporter. Il prit sa tête dans ses mains en se cachant les joues et les yeux,