Page:Bourget - Les Deux Sœurs, Plon-Nourrit.djvu/18

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l’une trouvait le moyen d’être raide, guindée, comme harnachée, là où l’autre était gracieuse et souple. Les joyaux de demi-deuil de Mme de Méris, sa chaîne en platine et en perles noires, ses broches émaillées de noir avec des diamants, soulignaient ce je ne sais quoi de prétentieux répandu sur toute sa personne. Madeleine, elle, n’avait d’autres bijoux que l’or des grandes épingles qui piquaient son large chapeau de tulle à fleurs et celui de la gourmette où s’enchâssait la montre de son bracelet. De temps à autre, et tout en causant avec la voyageuse qu’elle accompagnait à son train, – elle-même ne quittait pas encore Ragatz, – elle regardait l’heure à son poignet d’un geste qui traduisait une inquiétude. Ce n’était pas l’impatience de voir la locomotive déboucher du tunnel sur le Rhin, là-bas. Elle appréhendait au contraire que ce train où monterait sa sœur n’arrivât trop vite. Agathe lui parlait, depuis ces quelques minutes, avec une demi-ouverture du cœur, et des conversations de cet ordre étaient rares entre les deux sœurs. Elles n’en avaient pas eu une seule durant tout leur séjour commun dans la ville d’eaux. Cette singularité de leurs rapports ne tenait pas à la nature de Madeleine, très aimante, très spontanée. L’aînée en était seule responsable, par quelques-uns de ces défauts de caractère pour lesquels les formules manquent, tant ils tiennent au plus intime et au plus profond