Page:Bourget - Les Deux Sœurs, Plon-Nourrit.djvu/183

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dédoublement qui permet à un homme d’études de se remettre, les larmes aux yeux, le cœur serré, à des recherches de l’ordre le plus froidement technique ? Tout à l’heure, quand Liébaut l’avait quittée, Madeleine avait pu lire sur la première page d’une brochure que le docteur portait à la main avec quelques autres : « Un cas de maladie osseuse de Paget. » C’était le signe, très humble, très simple, que ce mari, passionnément épris de sa femme, exerçait aussi un métier, et que ses énergies professionnelles continuaient d’agir, presque automatiquement. Ce détail suffit pour que Madeleine se sentît plus seule encore, et l’écheveau de ses pensées commença de se dévider dans le silence de la nuit si propice à ces méditations douloureuses de l’insomnie et de la fièvre.

– « Quelle journée, » songeait-elle, « et quelle soirée !… Et demain ?… François est rassuré, maintenant. Il travaille. C’est la preuve que j’ai réussi et que ses soupçons se sont en allés. Il faut qu’ils ne reviennent jamais. Qu’il ne comprenne jamais ce que j’aurai souffert !… » Et haussant ses minces épaules, elle frissonnait sous le châle de fine laine dont elle s’était enveloppée par-dessus la soie souple de sa chemisette de lit, tant elle se sentait glacée et mal à l’aise. « Mais comment le comprendrait-il ? C’est un bien grand cœur et un bien grand esprit. Il n’a jamais su, il ne saura