Page:Bourget - Les Deux Sœurs, Plon-Nourrit.djvu/185

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cœur, mais à mi-voix, comme pour mieux en savourer la volupté défendue ? » Oui. C’est moi qu’il aime… c’est moi, c’est moi… » Elle se répétait : « Il m’aime. Il me le dira demain. J’ai bien le droit de l’entendre me le dire, puisque ce sera notre dernière rencontre… Et moi, que lui répondrai-je ?… Que je l’aime aussi et qu’il doit partir, puisque je ne suis pas libre… Il emportera du moins cette consolation, dans cet adieu qui sera éternel, de savoir que son sentiment est partagé, et moi, cette minute de vérité me paiera de mes souffrances passées et futures. Elle me donnera la force de vivre ensuite, de remplir tout mon devoir… » Elle se vit en face de l’officier d’Afrique et regardant sur ce visage si fier, si pétri de noblesse et de douleur, l’extase qui s’y peindrait quand elle aurait murmuré cet aveu. « Nous nous quitterons alors sans que sa bouche ait même effleuré ma main… » À cette romanesque imagination son cœur battit. Un sang plus chaud courut dans ses veines. Cette fiévreuse brûlure de l’amour la fit presque défaillir, et tout de suite sa conscience se réveilla : « Me laisser dire par lui qu’il m’aime ?… Le lui dire, moi ?… Mais quand je me retrouverai ici avec François et que je lui rapporterai ce qui se sera passé, il y aura donc des choses que je lui cacherai ?… J’aurai écouté, lui absent, des mots que je n’aurais pas écoutés, lui présent ? Il est si loyal, il