Page:Bourget - Les Deux Sœurs, Plon-Nourrit.djvu/209

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son imprudence, et il s’est excusé. Il va reprendre du service aux colonies et quitter la France… Ce que je vous demande, François, c’est de ne plus jamais prononcer ce nom devant moi… J’aurai de la force, » ajouta-t-elle en embrassant sa cadette avec passion, « oui, j’en aurai… J’ai retrouvé ma sœur… »

– « C’est moi qui ai retrouvé la mienne, » répondit Madeleine, d’une voix si basse que Liébaut ne l’entendit pas. Il les aurait entendus, d’ailleurs, ces mots si simples, qu’il n’en aurait pas compris le sens, ni le miracle de tendresse que l’héroïsme de la plus jeune venait d’accomplir dans le cœur de l’aînée. Les deux femmes avaient en effet perdu, et pour toujours, l’homme qu’elles aimaient toutes les deux. Mais ce commun regret allait, grâce au sacrifice volontaire et à la délicatesse de la pure Madeleine, les réunir au lieu de les séparer. Ni l’une ni ‘autre ne mentait. L’une et l’autre avait réellement retrouvé sa sœur – reprise touchante d’intimité qui n’a pourtant pas désarmé les commentaires du monde ! Comme avait dit Madeleine, ce monde n’est pas si aveugle, mais il a ses bonnes raisons pour ne supposer l’héroïsme et la délicatesse qu’en dernier ressort, et quand il ne peut plus trouver d’explication mesquine, et par conséquent probable, aux mystères qu’il a su deviner. Le subit départ du commandant Brissonnet a donc été dûment discuté