Page:Bourget - Les Deux Sœurs, Plon-Nourrit.djvu/27

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

clairs cheveux et la transparence de leur teint si frais. Cette double et charmante apparition était si originale qu’elle aurait partout ailleurs provoqué la curiosité des témoins de ce joli adieu. Dans les dernières minutes d’un départ, de tels tableaux sont perdus. Les deux sœurs pouvaient donc se regarder et se sourire, en liberté, comme si elles n’eussent pas été dans un lieu public, exposées à toutes les indiscrétions… Soudain cependant, ce sourire s’arrêta sur les lèvres de la voyageuse. Ses yeux s’éteignirent, une rougeur colora ses joues et presque aussitôt le même changement d’expression s’accomplit pour Madeleine. L’une et l’autre venaient de constater qu’elles étaient regardées fixement par un inconnu, immobile à quelques pas d’elles. C’était un homme d’environ trente ans, lui-même d’une physionomie trop particulière pour qu’il passât aisément inaperçu. Il était assez petit, habillé avec ce rien de gaucherie qui distingue les soldats professionnels lorsqu’ils revêtent le costume civil. L’extrême énergie de son masque, tout creusé sous la barbe courte, était comme voilée, comme noyée d’une mélancolie qui ne s’accordait ni avec l’orgueil presque impérieux de son regard, ni avec le pli sévère de sa bouche. La maigreur et la nuance bronzée de son teint, où brûlaient littéralement deux yeux très bruns, presque noirs, indiquaient un état maladif, qui n’avait pourtant rien de commun