Page:Bourget - Les Deux Sœurs, Plon-Nourrit.djvu/50

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s’étendait doucement sur la vallée baignée de lune. Madeleine oubliait, elle aussi, qu’elle était à peine couverte et que les fins souliers dont elle était chaussée n’étaient pas faits pour fouler le sol des allées, mouillé de rosée. Un projet commençait de se dessiner dans sa pensée, d’abord vague, puis moins vague, puis précis. Et deux heures plus tard, lorsque enfin revenue aux Petites Charmettes (c’était le nom de sa villa), elle eut embrassé sa fille endormie, et qu’elle se fut elle-même vêtue pour la nuit, ce projet s’était fixé en lignes très nettes. Elle en raisonnait déjà comme d’un fait positif et qu’elle ne discutait plus. Le petit roman, tendrement et purement chimérique, ébauché dans sa rêverie, l’attirait par un attrait si profond, si conforme aussi aux secrètes dispositions de sa nature, follement sentimentale sous son parti pris de tranquille sagesse bourgeoise ! Elle demeura longtemps, longtemps, sa femme de chambre congédiée, sur le balcon en terrasse de son appartement, à regarder le vaste paysage de plus en plus argenté de vapeurs, tout en se prononçant à nouveau un de ces interminables monologues dont elle était coutumière. Les étoiles palpitaient au ciel, où le croissant de la lune brillait d’un éclat de métal. Le Falknis profilait, par-dessus les cimes onduleuses des grands arbres, sa silhouette sombre, détachée sur le violet comme déteint du ciel. La rumeur de la Tarmina, la tumultueuse