Page:Bourget - Les Deux Sœurs, Plon-Nourrit.djvu/81

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toujours à ces pentes ombragées de sapins et de mélèzes, à ces ponts de troncs d’arbres jetés sur les torrents, à ces gorges dont les roches sauvages surplombent des eaux bouillonnantes et racontent la fureur d’antiques cataclysmes, à ces prairies fauchées de la veille et parfumées de l’arôme des foins, au joli paradoxe de ce village d’eaux, de cette oasis d’élégance abritée dans cette vallée perdue. Pour lui aussi ces huit jours de rencontres quotidiennes allaient être une oasis – la première où il lui eût donné de s’arrêter et de se reposer dans le charme que répand autour d’elle, rien qu’en existant, une femme secrètement et silencieusement aimée.

Le petit drame sentimental dont le premier acte se déroula durant cette semaine – sans événements comme tant de tragédies de cœur à leur début, – serait inintelligible, si l’on n’indiquait pas dès maintenant dans quelles dispositions d’âme l’officier d’Afrique se trouvait alors. Elles expliqueront la soudaineté d’une passion qui risquera de paraître un peu bien rapide. Pourtant, l’expérience le prouve trop : les invasions les plus puissantes de l’amour sont le plus souvent les plus subites. Grandi – Favelles avait dit vrai – dans des conditions très humbles, Brissonnet avait jusqu’à sa vingt-quatrième année travaillé avec une ardeur si âpre pour suppléer aux lacunes de son