Page:Bourget - Les Deux Sœurs, Plon-Nourrit.djvu/88

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cette finesse de façons accompagnait une irréprochable délicatesse de conscience. Mais être sûr que l’on ne sera jamais aimé, est-ce une raison pour ne pas aimer ? Si quelque chose peut toucher le cœur d’une femme fidèle à ses devoirs, n’est-ce pas cette passion dans le respect, cette hésitation de l’amoureux sans audace qui veut plaire, qui ne le veut pas, qui avance, qui recule ? Ce trouble, qu’il n’a pas la force de cacher, désarme chez celle qui l’inspire l’instinct de défense, aussitôt éveillé devant le désir avoué. Si cette honnête femme porte elle-même, dans un intime repli de son être, une place tendre sur laquelle l’amoureux timide a fait une impression, elle se donne alors des raisons pour n’être pas trop sévère à cet intérêt qu’elle provoque, au lieu de s’en donner pour s’en défendre. Elle se dit qu’elle n’a rien à redouter. Elle peut même, par un de ces sophismes que les plus sévères fiertés se permettent, se dire que cet intérêt est seulement une admiration trop émue, un commencement exalté d’amitié. D’ailleurs n’entrait-il pas dans le programme imaginé par Madeleine que Brissonnet fût un peu amoureux d’elle, – juste assez pour qu’ensuite, lorsqu’il reverrait sa sœur, et grâce à l’attrait d’une ressemblance surprenante jusqu’à l’identité, cette fantaisie se tournât en un sentiment sérieux pour celle qu’il pouvait épouser ? Ne sera-ce pas de quoi justifier au regard des plus