Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/103

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La douceur de la dernière portion de la soirée se reflétait pour lui sur tout le reste. Il oubliait même les quarts d’heure de détresse qu’il avait dû traverser. Ce fut dans ce sentiment qu’il se retrouva devant la grille de sa maison. L’antithèse entre le monde d’où il venait et le monde où il rentrait lui fut douce à constater, tandis qu’il poussait le lourd battant, puis qu’il se glissait à petits pas jusqu’à sa chambre. Cette antithèse ne donnait-elle pas à sa joie actuelle tout le piquant de la fantaisie ? … Puis, comme il était à cet âge où la réparation des fatigues nerveuses s’accomplit avec une régularité parfaite à travers les mouvements les plus désordonnés de la pensée et des sensations, il ne fut pas plutôt couché dans son lit qu’il dormait déjà d’un sommeil profond. S’il rêva des magnificences entrevues, des applaudissements dans le vaste salon, du profil un peu mignard de madame Moraines, si délicat sous ses cheveux blonds, il n’aurait pu le dire, quand il se réveilla au lendemain matin, vers les dix heures.

Un rais de soleil entrait par la fente des volets clos et des rideaux baissés. Aucun bruit n’arrivait de la petite rue, et aucun bruit de l’intérieur de l’appartement, qui trahît le branle-bas d’un petit ménage le matin, les allées et les venues de la servante, le rangement hâtif des meubles, la préparation du déjeuner. Le jeune homme fut surpris