Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/104

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de ce silence. Il consulta sa montre pour savoir combien de temps il avait dormi ; et il éprouva de nouveau cette sensation, sur laquelle il ne s’était jamais blasé : celle d’être aimé par sa sœur avec cette espèce d’idolâtrie minutieuse qui va des grands événements de l’existence aux plus petits. En même temps le souvenir le ressaisit de sa soirée de la veille. Vingt images affluèrent dans son cerveau, qui se confondirent toutes dans les traits fins, la bouche spirituelle et les yeux bleus de madame Moraines. Il la revit d’une manière plus distincte que la veille, à l’instant même où il venait de la quitter ; mais la netteté de cette vision et l’infinie complaisance avec laquelle il s’y attarda ne l’éclairèrent pas encore sur le sentiment qui naissait en lui. C’était une impression d’artiste, et rien de plus, — comme si les plus gracieux des fantômes de femmes adorées durant sa jeunesse, à travers les phrases des romanciers et des poètes, avaient pris corps sous ses yeux. Couché dans la tiède paresse de son lit, il jouissait du charme de ce souvenir, comme il jouissait de l’intime aspect de sa chambre, de son familier, de son calme asile. Ses regards erraient voluptueusement sur tous les objets visibles dans le demi-jour, sur sa table dont les mains d’Émilie avaient réparé le désordre, sur ses gravures que faisait mieux ressortir la sombre tonalité du