Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/114

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ouvrir elle-même. Les Offarel n’avaient à leur service qu’une femme de ménage, la mère Forot, sur le compte de laquelle la vieille dame ne tarissait pas en anecdotes, et qui partait à midi. À la vue de celui qu’elle aimait, le visage de la pauvre enfant, pâlot d’habitude, s’était rosé de plaisir et elle n’avait pu retenir un petit cri. « Que c’est gentil à vous d’être venu nous raconter tout de suite comment votre comédie a réussi ! … » Elle introduisait le jeune homme dans la salle à manger, pièce mal éclairée par une fenêtre au nord, et qui n’était même pas chauffée. La scrupuleuse avarice de madame Offarel lui faisait, quand les journées d’hiver n’étaient pas trop froides, remplacer la dépense du feu, pour elle et ses filles, par des espèces de pèlerines ouatées et des mitaines.

— « Vous voyez, » dit-elle à René en lui faisant signe de s’asseoir, « nous comptons le linge. »

Sur la table, en effet, tout le blanchissage de la quinzaine était étalé, depuis les chemises du père jusqu’à celles des filles. L’éclat bleuâtre des calicots et des cotonnades était rendu plus clair par le fond obscur de toute la pièce. C’était le pauvre linge du ménage gêné : il y avait des bas dont le talon se hérissait de reprises, des serviettes effilochées, des manchettes élimées et qui