Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/125

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d’imagination, cet amour avait été trop sincère pour qu’il n’en conservât point ces deux sentiments, les derniers à mourir dans l’agonie d’une passion : un pouvoir extraordinaire de suivre les moindres mouvements de ce cœur de vierge, et une pitié, inefficace autant que douloureuse, pour toutes les souffrances qu’il infligeait à ce cœur. Une fois de plus il se posa cette question : « N’est-il pas de mon devoir de lui dire que je ne l’aime plus ? … » question insoluble, car elle ne comporte que deux réponses : la brutalité égoïste et cruelle, si l’on est simple ; et, si l’on est compliqué, la lâcheté d’Adolphe, avec son affreux mélange de compassion et de trahison ! … Le jeune homme secoua la tête pour chasser l’importune pensée, il se dit l’éternel : « Nous verrons, plus tard… » avec lequel tant de bourreaux de cette espèce ont prolongé tant d’agonies, puis il se força de regarder autour de lui. Ses pas l’avaient porté, sans qu’il y prît garde, dans la portion du faubourg Saint-Germain où, plus jeune, il aimait à se promener, quand, enivré par la lecture des romans de Balzac, cette Iliade dangereuse des plébéiens pauvres, il évoquait derrière les hautes fenêtres le profil d’une duchesse de Langeais ou de Maufrigneuse. Il se trouvait dans cette large et taciturne rue Barbet-de-Jouy qui semble en effet un cadre tout