Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/152

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

la vanité de l’auteur. Les plus célèbres écrivains et les plus blasés sur la fausse idolâtrie des salons ne se laissent-ils pas prendre à des amabilités de cet ordre ? L’auteur du Sigisbée n’y vit d’ailleurs pas si loin. Il était venu, le cœur endolori par la crainte de déplaire, et il plaisait. Il avait éprouvé, depuis le matin, un désir passionné de revoir Suzanne, et il la revoyait, et elle était heureuse de le revoir. Elle laissa tomber de ses mêmes lèvres qui remuaient si joliment à chaque parole, cette seconde phrase, en clignant un peu ses yeux :

— « Si vous avez répondu à toutes les invitations que vous a values votre beau succès d’hier, vous avez dû avoir une rude journée ? »

— « Mais je ne suis venu que chez vous, madame, » répliqua-t-il instinctivement. Il eut à peine prononcé ces paroles qu’il se sentit rougir. La signification de cette phrase était si limpide, le sentiment qu’elle traduisait si sincère, qu’il en demeura décontenancé, comme un enfant que la spontanéité de sa nature a entraîné à dire ce qu’il voulait tenir caché. N’y avait-il pas là une familiarité dont serait choqué cet être exquis, cette femme si délicate qu’aucune nuance ne devait lui échapper, si sensible que les moindres fautes de tact la faisaient certainement souffrir ? Avec son teint de rose blonde et la soie claire de ses cheveux, avec ses prunelles d’un bleu