Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/158

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surprendre dans ces yeux bleus cette expression de foi profonde, pour regarder ces lèvres sinueuses se mouvoir, pour sentir la présence de cette femme auprès de lui, longtemps, toujours, il aurait, dès cette minute, affronté les pires dangers. À travers ce silence, le bruit de la théière que le domestique avait apportée dans un coin du petit salon, aussitôt après avoir introduit René, se fit plus perceptible. Suzanne passa sur ses yeux sa main dont les ongles brillèrent ; elle eut un sourire qui semblait demander pardon pour elle, pauvre ignorante, d’avoir osé aborder de si sérieux problèmes, devant lui, un si grand esprit ; puis elle reprit, avec la grâce que les femmes savent mettre à ces enfantines volte-face, quand elles vous offrent une sandwich après vous avoir parlé de l’immortalité de l’âme :

— « Mais vous n’êtes pas venu ici pour écouter un sermon, et moi j’oublie que je ne suis qu’une femme du monde… Voulez-vous une tasse de thé ? … Allons, venez m’aider à le préparer… »

Elle se leva. Son pas était si léger, si souple, et René se trouvait dans un état de si complet ensorcellement, que cette démarche, à peine appuyée, lui parut quelque chose d’unique, comme si les moindres gestes de cette femme eussent continué la délicatesse de sa conversation. Il s’était levé