Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/169

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— « Quelle canaille ! » s’écria Suzanne.

— « Elle est si sotte, » dit le baron, « et puis Crucé s’y connaît, et ce pauvre Éthorel, s’il ne l’avait pas, payerait aussi cher des bibelots de quatre sous… Tout est pour le mieux dans le meilleur des demi-mondes… Et puis ? »

— « Le petit de Brèves et vous… Bon ! » fit-elle en interrompant son discours pour tendre l’oreille. « Quelqu’un entre, vous savez, je connais si bien ma maison. » Et, comme pour René tout à l’heure, elle ajouta, en regardant le baron avec une moue coquette : « Mon Dieu ! quel ennui ! … » Puis tout haut, avec son rire d’enfant : « Hé ! ce n’est rien, c’est mon mari. Bonjour, Paul… »

— « Voilà un cri du cœur, » dit l’homme sur qui le domestique refermait la porte, un grand garçon à la fière tournure, aux beaux yeux francs, bien ouverts, dans un de ces visages d’une chaude pâleur bistrée qui révèlent l’énergie. Ses traits présentaient ce caractère de noble régularité qui ne se rencontre guère à Paris que dans la première jeunesse. Une physionomie de cette espèce, chez un homme de plus de trente-cinq ans, indique la paix d’une conscience irréprochable. Rien qu’à la manière dont Moraines regarda sa femme, il était facile de voir qu’il nourrissait pour elle un amour profond, comme, à la façon dont