Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/193

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l’autre semaine. Si elles osaient, elles se donneraient en fait, là, tout de suite, ce qui ne les empêchera pas de persuader à l’homme qui a ainsi parlé dès le premier jour au plus intime de leur être, qu’elles ont hésité, qu’il a dû les conquérir peu à peu, moment par moment. Elles ont raison, car la sotte vanité du mâle trouve son compte aux difficultés de cette conquête, et peu d’hommes ont assez de bon sens pour comprendre la divine douceur de l’amour spontané, naturel, irrésistible. Tandis que le poète s’en allait, en se disant : « Je suis perdu, jamais elle ne me pardonnera mon indiscrétion… » Suzanne se sentait, avec délices, en proie à ce frémissement intérieur devant lequel ploient toutes les prudences, et elle entrevoyait, passant par-dessus ses craintes de la matinée, un plan d’intrigue, un de ces plans très simples comme l’esprit profondément réaliste des femmes leur en fait découvrir. Il s’agissait de tromper la défiance d’un homme très fin, très au fait de sa nature. Le plus habile était de se conduire exactement au rebours de ce que cet homme devait et pouvait prévoir. Brusquer les choses ; amener, en deux ou trois visites, René à lui faire une déclaration ; y répondre elle-même et devenir sa maîtresse avant qu’il n’eût eu le temps de la courtiser ; — jamais Desforges ne la soupçonnerait d’une aventure