Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/199

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les paupières bouffies ; et elle eut, involontairement, la notion vraie de la laideur de sa vie. C’est une chose horrible qu’une femme jeune et belle subisse les caresses d’un homme qu’elle n’aime pas, même quand cet homme est jeune, quand il est ardent, quand il est épris. Mais quand il est sur le bord de la vieillesse, quand il a payé le droit de salir ce beau corps qu’il est incapable d’enivrer, — c’est une prostitution si navrante que la tristesse y noie le dégoût. Desforges venait de paraître vieux au regard de Suzanne, pour la première fois peut-être, et, par une irrésistible réaction de toute son âme, elle évoqua, par contraste, la bouche fraîche, le visage intact de celui dont le souvenir la poursuivait depuis deux jours. Ah ! les baisers avec ce jeune homme, des baisers donnés sans compter, sans cet arrière-fond glacé d’hygiène et de calcul ! … Allons ! elle était trop niaise d’avoir hésité une minute, et comme elle était une personne de décision, elle commença d’agir aussitôt. Elle s’était rhabillée, et, son chapeau mis, ses gants boutonnés, elle dit à Desforges avant de nouer sa voilette :

— « Quand viendrez-vous déjeuner avec moi ? Vous vous invitiez sans cesse autrefois… C’était si gentil… »