Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/210

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parole. Elle allait savoir, d’une manière certaine, non pas si Claude avait mal parlé d’elle, — elle avait deviné que non dès l’entrée, — mais si René était discret. Elle n’ignorait pas que, dans un amour, les moments dangereux pour les imprudentes confidences sont les heures du début et celles de la fin. Il n’y a de sûrs que les hommes capables de se taire quand l’espérance ou l’amertume leur déborde du cœur. Par la réponse de René, elle allait juger toute une portion de son caractère, et, dans le projet d’intrigue follement rapide qu’elle caressait déjà, c’était un facteur capital que cette sûreté du jeune homme ! Il était trop naturel qu’il eût, dès le premier jour, entretenu Claude de sa passion naissante, — et il l’aurait fait sans la présence de Colette. Pour Suzanne, qui ne pouvait pas tenir compte de ce détail, le silence était une promesse de discrétion qui lui fit chaud à recevoir.

— « Nous n’avons pas parlé de vous ensemble, » fit le jeune homme ; « mais, comme vous le disiez trop justement l’autre soir, il a toujours eu la spécialité des tristes amours, et il apporte dans le monde les mélancolies de cette sorte d’existence. Si vous le voyiez avec celle qu’il a le malheur d’aimer aujourd’hui ! … »

— « Ce n’est pas une raison, » dit Suzanne, « pour se venger des autres en leur faisant la