Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/223

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— « Comme tu es fine ! »

— « Je suis ta sœur et je t’aime, » répondit-elle ; « c’est trop simple. » Et prenant quelques-uns des papiers épars : « Est-ce que vraiment tu te décides à préparer ton volume ? … »

— « Non, » fit-il, « mais je dois lire un choix de mes vers à une dame… »

— « À madame Moraines, » dit Émilie vivement.

— « Tu l’as deviné, » répondit le jeune homme avec un peu de trouble. « Ah ! si tu savais ! … »

Et ce fut alors le débordement du flot amassé des confidences. Il fallut qu’Émilie écoutât un éloge enthousiaste de Suzanne et de ses moindres façons. René lui parlait dans la même phrase de l’admirable noblesse d’idées de cette femme et de la forme de ses petits souliers, de sa merveilleuse intelligence et du velours frappé de son buvard. Cet ébahissement puéril devant les minuties du luxe qui s’unissait à l’exaltation la plus poétique pour composer son amour, n’était pas fait pour étonner Émilie. Elle-même, n’avait-elle pas toujours associé dans sa tendresse pour son frère les plus grandes ambitions aux plus petits désirs ? Elle aurait souhaité, par exemple, presque avec la même ardeur, qu’il eût du génie et des chevaux, qu’il écrivît Childe Harold et