Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/251

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dans un rêve, nous nous écoutons nous-même dire notre secret précisément à la personne à qui nous devrions nous cacher le mieux. Elle l’avait écouté, les yeux fixés devant elle, absorbée toujours. Mais ses paupières battaient plus vite, sa respiration se faisait plus courte. Sa petite main trembla dans la main de René. Ce fut pour lui une surprise si saisissante, quelque chose de si enivrant aussi, qu’il eut le courage de reprendre :

— « Pardon, pardon de vous parler comme je le fais ! Si vous saviez ! … C’est enfantin et c’est fou ! … Quand je vous ai vue pour la première fois, c’est comme si je vous avais reconnue. Vous ressemblez tant à la femme que j’ai rêvé de rencontrer, depuis que j’ai un cœur ! … Avant cette rencontre, je croyais vivre, je croyais sentir… Ah ! que j’étais fou ! … Ah ! que je suis fou ! … Je me perds à vos yeux, je me suis perdu.— Mais du moins je vous aurai dit que je vous aimais… Vous le saurez. Vous ferez de moi ensuite ce que vous voudrez.— Mon Dieu ! que je vous aime ! que je vous aime ! … »

Comme il la regardait avec idolâtrie, tout en répétant ces mots où se soulageait toute sa fièvre intérieure, il vit deux larmes tomber des yeux de Suzanne, deux lentes et douces larmes qui coulèrent sur ses joues roses, en y laissant comme des raies. Il ignorait que la plupart des