Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/268

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jour du mois, certain marchand recevait un arrivage de mortadelles, et cet autre d’olives noires, à une autre date. C’étaient, à chaque fois, des voyages dont le moindre épisode faisait événement. Tantôt elle allait à pied, et ses observations étaient innombrables sur les démolitions de Paris, l’encombrement des rues, la supériorité de l’air respirable dans la rue de Bagneux. Tantôt elle prenait l’omnibus avec une correspondance, et ses voisins devenaient l’objet de ses remarques. Elle avait vu une grosse dame très aimable, un petit jeune homme impertinent ; le conducteur l’avait reconnue et saluée ; la voiture avait failli verser trois fois ; un vieillard décoré avait eu beaucoup de mal à descendre. « J’ai bien cru qu’il tomberait, le pauvre cher monsieur… » Cet abus de détails insignifiants, où se complaisait la médiocrité d’esprit de la pauvre femme, divertissait René d’ordinaire parce que la bourgeoise trouvait quelquefois, dans son flux de paroles, quelque tournure imagée. Elle disait, par exemple, parlant d’un de ses compagnons de voyage qui faisait la cour à une cuisinière chargée de son panier : « Il y a des gens qui aiment les poches grasses… » ou de deux personnages qui s’étaient pris de querelle : « Ils se disputaient comme deux Darnajats… » terme mystérieux qu’elle avait toujours refusé de