Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/286

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le jeune homme. À le voir pâli par une angoisse de trois jours, perdu d’émotion, elle aurait tant voulu faire arrêter cette voiture rapide, en descendre ou l’y recevoir, l’enlever, lui dire : « Mais je t’aime autant que tu m’aimes ! … » Au lieu de cela, elle allait à des courses et à des visites, sûre maintenant que cette seconde lettre si impatiemment attendue ne tarderait pas. Elle l’avait le soir même, mais à une minute où l’arrivée de cette lettre présentait le plus de véritable péril. Voici pourquoi. Rentré chez lui aussitôt après leur rencontre, René avait écrit quatre pages en proie à la fièvre, et, pour que madame Moraines les eût plus tôt et plus sûrement, il les avait envoyées, vers cinq heures, par un commissionnaire, en sorte que le billet fut apporté par le valet de chambre dans un moment où Suzanne avait Desforges avec elle. Il était venu, comme il faisait souvent à cette heure, avec un gentil cadeau : un délicieux étui en or ancien, déniché dans une visite à l’hôtel Drouot. Elle n’eut pas plutôt reconnu l’écriture de l’adresse qu’elle se dit : « Le moindre signe d’émotion, et le baron devine que j’ai une intrigue… » Comme il arrive, cette crainte de montrer de l’émotion lui rendait plus difficile de cacher les mouvements dont elle était agitée. Elle prit cependant cette enveloppe, la regarda comme quelqu’un qui ne devine pas