Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/305

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amour comme un crime, jurez-moi de ne pas aller dans le monde à cause de moi. Vous devez travailler, et vous ne savez pas ce que c’est que cette vie… Ce magnifique talent, ce génie, vous les gaspilleriez en futilités, en misères, et j’en serais la cause ! … Oui, promettez-moi que vous n’irez chez personne… » Et tout bas : « Chez aucune de ces femmes qui tournaient autour de vous, l’autre soir… »

Comme René l’avait tendrement embrassée, après cette phrase où l’artiste pouvait voir un hommage rendu à son œuvre future, et l’amoureux l’expression délicate d’une secrète jalousie !

Il avait répondu un timide :

— « Pas même chez vous ? »

— « Surtout pas chez moi, » avait-elle dit. « Maintenant je ne pourrais pas supporter que vous serriez la main de mon mari… Tu dois me comprendre… » avait-elle ajouté, en bouclant les cheveux du jeune homme d’un geste caressant. Il était à terre, lui, à ses pieds, et elle assise de nouveau sur le fauteuil. Elle pencha son visage qu’elle cacha sur l’épaule de René : « Ah ! » soupira-t-elle, « ne m’en faites pas dire davantage… » puis, après quelques minutes : « Ce que je voudrais être pour vous, c’est l’amie, qui n’entre dans la vie de celui qu’elle aime, que pour y apporter de la joie et du courage, de la douceur