Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/308

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phraséologie par laquelle la jeune femme s’était posée en muse soucieuse de son travail, avait flatté en lui l’égoïsme de l’écrivain qui rêve de concilier l’art avec l’amour, le plaisir de la volupté avec la solitude et l’indépendance nécessaires à la composition. Enfin le poète, après de longues journées de torture, se sentait comme des ailes à l’esprit et au cœur. Telle était l’ardeur de sa félicité qu’il ne remarqua même pas l’étonnement douloureux dont le visage de sa sœur resta empreint durant la soirée qui suivit la visite de Suzanne. Qu’avait entendu Françoise ? Qu’avait-elle rapporté à madame Fresneau ? Toujours est-il que cette dernière souffrait visiblement. La profonde ignorance de certaines femmes à la fois romanesques et pures leur réserve de ces surprises. Elles s’intéressent aux choses de l’amour, parce qu’elles sont femmes, et elles prêtent la main à des débuts de relations qu’elles croient innocentes comme elles. Ensuite, lorsqu’elles entrevoient les conséquences brutales auxquelles ces relations aboutissent presque nécessairement, leur surprise serait comique si elle n’était pas aussi cruelle que respectable. D’après la description faite par la bonne, Émilie n’avait pas de doute sur l’identité de la visiteuse, et les autres indices donnés par Françoise, les bruits de baisers surpris, la durée de cette