Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/327

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Avant midi, l’hygiénique baron se consacrait à ce qu’il avait de plus précieux au monde : sa santé. Il prenait une leçon d’armes, ce qu’il appelait « sa pilule d’exercice ; » il galopait dans les allées du Bois, ce qui devenait « sa cure d’air ; » enfin il « brûlait son acide, » formule qu’il devait au docteur Noirot. La madone en partie double, qui connaissait le fonds et le tréfonds de cet homme, le savait aussi enchaîné par les servitudes de cette hygiène que Paul lui-même par celles de son bureau. Elle ressentait un malin plaisir à se représenter, de la sorte, son mari assis à ce bureau, son « excellent ami » chevauchant une jument anglaise, et son petit René entrant chez une fleuriste pour y acheter de quoi parer la chapelle de leurs caresses. C’était des roses qu’il choisissait d’ordinaire, des roses rouges comme les lèvres de son amie, des roses pâles comme ses joues dans les minutes de lassitude, de vivantes, de fraîches roses dont l’arome alanguissait encore la langueur des étreintes. Elle savait, tandis qu’elle s’acheminait de son côté vers ce tendre et furtif asile, que son jeune amant était debout contre la croisée, à écouter le bruit des fiacres qui passaient. Qu’il serait heureux, quand le sien à elle s’arrêterait devant la maison ! Elle monterait l’escalier et il l’attendrait, ayant lui-même ouvert doucement la porte, pour ne pas