Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/340

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

avez pu voir, de ces tristes amours ; tout y est exact, photographique, depuis l’histoire de la lettre jusqu’à ma jalousie pour les Saphos. Et Colette, est-elle assez prise sur le vif ? Et moi-même ? … Hélas ! mon pauvre ami, à salir ainsi l’image de celle que j’ai tant aimée, à traîner dans la fange l’idole parée autrefois des plus fraîches roses, à déshonorer mon plus cher passé de toute la force de mon cœur, si j’avais du moins gagné la paix ! Voici le résultat de ce noble effort : je n’avais pas plutôt mis à la poste le manuscrit de ce petit roman que je rentrais chez moi pour écrire à Colette et lui demander pardon… Ah ! La méthode de Gœthe, de ce sublime Philistin, de ce Jupiter suivant la formule, quelle excellente plaisanterie ! Oui. J’ai enfoncé ma plume dans ma plaie afin de prendre mon sang en guise d’encre, et je n’ai fait qu’envenimer cette plaie davantage. Je ne guérirai plus qu’avec le temps, si je guéris. Mais après tout, pourquoi guérir ?

Oui, pourquoi ? J’ai été fier, je ne le suis plus. Je me suis débattu contre cette passion qui m’abaissait, je ne me débats plus. Si j’avais un cancer à la joue, est-ce que j’en serais honteux ? J’ai un cancer à l’âme, voilà tout, et je me laisse maintenant ronger par lui, sans résister. Écoutez la suite de mon histoire. Colette n’avait pas répondu à ma lettre. Pouvais-je m’attendre