Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/434

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des domestiques, en attendant qu’elle devînt la sœur de charité de ses infirmités dernières. Sa conclusion fut pour le grand mot de toute politique sage, tant privée que publique : Attendre ! « Il faut laisser le petit jeune homme faire des sottises et se couler tout seul… Soyons très aimable et n’ayons rien vu… » Il se rendait rue Murillo de pied, vers deux heures, en ruminant cette résolution. Il s’arrêta devant la devanture d’un magasin d’antiquités qu’il connaissait bien, et il y remarqua une montre Louis XVI, en or ciselé, avec un encadrement de roses et une miniature exquise : « Voilà, » songea-t-il, « un excellent moyen de lui prouver que je suis pour le statu quo. » Il paya ce gentil bibelot un prix très raisonnable et se félicita doublement de cet achat, quand il vit, à son entrée dans le petit salon où se tenait Suzanne, combien la jeune femme attendait sa visite avec angoisse. Ses yeux meurtris et sa pâleur révélaient qu’elle avait dû passer la nuit à bâtir des plans pour sortir de l’impasse où la scène avec René l’avait acculée. À la manière dont elle le regarda, le baron comprit qu’elle n’espérait pas avoir échappé à sa perspicacité. Ce fut comme un suprême hommage qui finit de panser la blessure de son amour-propre, et il éprouva un réel plaisir à lui tendre l’écrin où se trouvait enfermée la petite montre, en lui demandant :