Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/435

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


— « Ceci vous plaît-il ? »

— « Ravissant, » dit Suzanne, « et ce berger et cette bergère… ils sont vivants. »

— « Oui, » reprit Desforges, « ils ont l’air de chanter la romance de l’époque :

J’ai tout quitté pour l’ingrate Sylvie,
Elle me quitte et prend un autre amant… »

Il avait dû jadis quelques jolis succès de salon à une voix de ténor fine et bien manœuvrée, il fredonna le refrain de la célèbre complainte, avec une variante de sa façon :

« Chagrins d’amour ne durent qu’un moment,
Plaisirs d’amour durent toute la vie… »

— « Si vous voulez mettre ce berger et cette bergère sur un coin de votre table, ils y seront mieux que chez moi… »

— « Que vous me gâtez ! » répondit Suzanne, un peu embarrassée.

— « Non, fit Desforges, je me gâte moi-même… Ne suis-je pas votre ami avant tout ? » Puis, lui baisant la main, il ajouta d’un ton sérieux, et qui contrastait avec son badinage : « Et vous n’en aurez jamais de meilleur… »

Et ce fut tout. Un mot de plus, et il compromettait sa dignité. Un mot de moins, et Suzanne pouvait le croire sa dupe. Elle éprouva, pour la délicatesse avec laquelle il venait de la traiter, un