Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/439

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douter qu’il se laissât convaincre. Sur le premier moment, il avait été terrassé par une évidence qui corroborait ses soupçons. Aujourd’hui déjà il devait douter, plaider en lui-même la cause de son amour… Elle en était là de ses raisonnements lorsqu’on lui annonça que sa voiture était avancée. Le désir de s’emparer à nouveau de René la possédait si complètement, elle était d’autre part si persuadée que sa présence enlèverait les dernières résistances, qu’un projet soudain se saisit d’elle : pourquoi n’essaierait-elle pas de retrouver le jeune homme tout de suite ? Oui, pourquoi, maintenant qu’elle n’avait plus rien à craindre de Desforges ? Dans les brouilles du cœur, les plus rapides raccommodements sont les meilleurs… Aurait-il en lui la force de la repousser, si elle lui arrivait, dans ce petit intérieur témoin de sa première visite, s’offrant à lui comme alors, lui apportant cette nouvelle et indiscutable preuve d’amour, lui disant : « Tu m’as outragée, calomniée, torturée… je n’ai pu supporter ni tes doutes ni ta douleur… me voici ! » Elle n’eut pas plutôt conçu la possibilité de cette démarche décisive qu’elle s’y attacha comme à un moyen sûr d’échapper à l’angoisse qui la torturait depuis la veille. Elle s’habilla d’une manière si rapide, que sa femme de chambre Céline en demeura