Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/440

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étonnée, et cependant elle n’avait jamais été plus jolie qu’avec la robe de printemps grise et claire qu’elle avait choisie : une robe un peu serrée aux jambes, comme on les portait cette année-là, souple fourreau qui la dessinait tout entière. Et, sans hésiter, elle jeta le nom de la rue Coëtlogon à son cocher. Cette femme si calculatrice, si préoccupée de tout ménager, en était arrivée là !

— « Pour une fois ! … » se disait-elle, tandis que son coupé traversait Paris, « j’arriverai plus vite… » Les sèches idées de prudence avaient bien vite fait de céder la place à d’autres : « Pourvu que René soit chez lui ? … Mais il y est. Il attend une lettre de moi, un signe quelconque de mon existence. » C’était à peu près la même question qu’elle se posait et pour y répondre dans les mêmes termes, lors de sa première visite en mars, deux mois et demi auparavant. Elle put mesurer, à la différence des émotions ressenties, quel chemin elle avait parcouru depuis cette époque. Dans ce temps-là, elle courait vers le logis du jeune homme, attirée par le plus fougueux des caprices, mais un caprice seulement. Aujourd’hui, c’était bien l’amour qui brûlait son sang de ses fièvres, l’amour qui a faim et soif de l’être aimé, l’amour qui ne voit plus que lui au monde, et qui marcherait vers son désir sous la gueule d’un canon chargé, sans trembler. Oui,