Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/459

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désir physique pour une femme, définitivement jugée et condamnée. Oui, après tout ce qu’il savait, il désirait encore Suzanne, il désirait cette gorge palpée par Desforges, cette bouche baisée par Desforges, toute cette beauté que la débauche du viveur vieillissant n’avait pu que souiller, sans la détruire. C’était cette chair blonde et blanche qui troublait son sang, plus rien que cette chair ! Voilà où en était descendu son noble amour, son culte pour celle qu’il avait d’abord appelée sa Madone. S’il cédait à cet immonde désir, une première fois, Claude avait raison, tout était fini. La nausée devant les abîmes de corruption où se débattait son ami avait été si forte qu’elle lui rendit l’énergie de se dire : « Je me donne ma parole d’honneur de ne pas aller rue des Dames lundi, » et, cette parole, il sut la tenir. À l’heure même où Suzanne l’attendait dans le petit salon bleu, frémissante de désir et désespérée, il frémissait, lui aussi, mais enfermé dans sa chambre, et se répétant : « Je n’irai pas, je n’irai pas… » Il songeait à son ami, et il reprenait : « Pauvre Claude ! » sentant à plein cœur toute la détresse de ce vaincu de la luxure, vaincu dans la lutte qu’il engageait à son tour. Il se plaignait en plaignant la victime de Colette, et cette pitié aidait son courage, comme aussi les habitudes religieuses prolongées