Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/469

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dans sa gaine de peau de daim, un revolver de poche que sa sœur lui avait donné, pour les soirs où il rentrait du théâtre. Il fit jouer la batterie à vide. Il chercha le paquet des cartouches, et il en soupesa une.— Pauvre machine humaine, qu’il faut peu de chose pour tout endormir ! — Il chargea le pistolet, défit sa chemise, trouva de sa main gauche la place où battait son cœur et il appuya le canon sur sa poitrine.

— « Non, » dit-il tout haut encore, « pas avant d’avoir essayé. »

Cette parole correspondait à une pensée qui l’avait assiégé à plusieurs reprises, qu’il avait toujours repoussée comme folle, et qui, maintenant, avec la netteté propre aux idées dans les minutes de délibération suprême, prenait forme et corps devant lui. Il remit le pistolet dans le tiroir, s’assit dans son fauteuil, — le fauteuil de Suzanne, — et il se laissa rouler dans cet abîme de la rêverie tragique où les images se dessinent avec un relief extraordinaire, où les raisonnements se font rapides comme dans la fièvre, où s’élaborent les résolutions désespérées. « Mon aimé… » se répétait-il, en se ressouvenant de ce que Suzanne lui avait écrit dans le billet. Oui, malgré ses mensonges, malgré la comédie qu’elle lui avait jouée, et dont il repassait en esprit les