Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/474

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table, pour écrire à Suzanne un billet, dans lequel il lui demandait d’être chez elle le lendemain, à deux heures de l’après-midi. Il courut lui-même jeter cette lettre à la boîte, et il éprouva, en rentrant, cette détente qui suit les résolutions définitives. Lui qui s’était, durant la semaine et après son premier, son sauvage accès de violence, senti incapable de la plus faible énergie, jusqu’à n’avoir pu rouvrir le manuscrit de son Savonarole, il se mit sur-le-champ à tout préparer, comme si la réponse de Suzanne ne pouvait pas être douteuse. Il compta la somme d’argent enfermée dans son tiroir : un peu plus de cinq mille francs. C’était de quoi suffire aux premiers embarras. Et ensuite ? … Il calcula de quel capital il avait le droit de disposer dans la fortune de la famille, restée indivise entre sa sœur et lui. La grande affaire était de passer les deux premières années, durant lesquelles il terminerait son drame et le ferait jouer. Il publierait, aussitôt après, son roman, que le succès de sa pièce pousserait, comme une vague pousse une vague, puis son recueil de vers. Un horizon de travaux et de triomphes se développait devant lui. De quel effort ne serait-il pas capable, soutenu par cet élixir divin : le bonheur, et par la volonté de rendre à Suzanne ce luxe qu’elle lui aurait sacrifié ? Sa sœur le surprit, quand elle rentra, qui