Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/496

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quelque temps ! … Il m’avait annoncé un grand voyage en Italie. Je l’ai interrogé : — Tu pars toujours demain ? …— Non, m’a-t-il dit, et il m’a prise contre lui et il m’a embrassée longtemps, longtemps avec des sanglots. Je lui ai demandé : — Qu’as-tu ? …— Rien, m’a-t-il répondu, où est Constant ? — Cette question m’a étonnée. Il savait bien que le petit ne revient pas de la pension avant six heures.— Et Fresneau ? a-t-il dit encore. Puis il a poussé un grand soupir et il a passé dans sa chambre. Je suis restée cinq minutes à me tâter : je ne devais peut-être pas le laisser seul. Puis j’avais peur. Dans ses passages de désespoir, il est si facile à s’emporter… Et voilà que j’entends une détonation.— Ah ! je l’entendrai toute ma vie ! … »

Elle s’arrêta, trop émue pour continuer, et après une nouvelle crise de larmes :

— « Et que dit le docteur ? » reprit Claude.

— « Qu’il est hors de danger, sauf une complication impossible à prévoir ; » répondit Émilie, « il nous a expliqué que ce malheureux pistolet— c’est moi qui le lui ai donné ! — était un peu dur de détente. L’effort par lequel il a dû presser sur la gâchette a fait dévier la balle… Elle a traversé le poumon sans toucher le cœur, et elle est ressortie de l’autre côté… À vingt-cinq ans ! … Mon Dieu ! mon Dieu ! quelle misère !