Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/500

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

soit, » reprit Claude avec une nuance d’ironie, et il commença de raconter ce qu’il savait de l’histoire de René, puis il esquissa de Suzanne un portrait assez exact, à grand renfort d’expressions psychologiques, parlant de la multiplicité de sa personne, d’une condition première de son moi et d’une condition seconde : « Il y a en elle », disait-il, « une femme qui veut jouir du luxe, et elle garde un amant qui la paie ; il y a une femme qui veut jouir de l’amour, et elle a pris un amant tout jeune ; une femme assoiffée de considération, et elle vit avec un mari qu’elle ménage. Et l’amant d’argent, l’amant d’amour, le mari de décor, je parierais qu’elle les aime tous les trois, — d’une manière différente. Certaines natures sont ainsi, comme ces boîtes chinoises qui en contiennent six ou sept autres… C’est un animal très compliqué ! … »

— « Compliqué ? » fit l’abbé en hochant la tête. « Je sais : vous avez de ces mots, pour n’en pas prononcer d’autres bien simples. C’est tout simplement une malheureuse qui vit à la merci de ses sensations… Tout cela, c’est de grandes saletés. » Son noble visage exprima un dégoût profond, tandis qu’il prononçait cette phrase brutale. Il était visible que l’idée des choses de la chair lui causait l’espèce de répugnance irritée qu’elle donne aux prêtres qui ont dû lutter contre