Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/501

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l’énergie d’un tempérament fait pour l’amour. Ce dégoût céda aussitôt la place à une tristesse profonde et l’abbé continua : « Ce qui m’épouvante pour René, ce n’est pas cette femme. D’après ce que vous m’en dites, son caprice assouvi, elle l’aurait laissé. Malade, elle n’y pensera plus. C’est l’état moral dont cette aventure témoigne chez ce pauvre garçon… Avoir vingt-cinq ans, avoir été élevé comme il l’a été, se sentir si nécessaire à la meilleure des sœurs, posséder en soi ce don incomparable que l’on appelle le talent, ce qui peut, mis au service de convictions fortes, produire de si grandes choses, l’avoir reçu, ce don divin, à un moment tragique de l’histoire de son pays, savoir que demain ce pays peut sombrer à jamais dans une tempête nouvelle, oui, savoir que son salut, c’est notre œuvre à tous, à vous, à lui, à moi, à ces passants… » il montrait devant eux quelques gens sur le trottoir, « et que tout cela ne pèse pas dans la balance contre le chagrin d’être trompé pas une coquine ! Mais… » et il insista, comme si son discours s’adressait à Claude autant qu’au blessé qu’il venait de quitter « qu’espérez-vous donc rencontrer dans cette redoutable région des sens où vous vous engagez, sous prétexte d’aimer, sinon le péché avec son infinie tristesse ? … Vous parlez de complication. Elle est