Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/508

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de Sigisbée, la première représentation aux Français, la soirée chez madame Komof et l’apparition de Suzanne en robe rouge, Colette chez lui au lendemain de cette soirée, puis René de nouveau lui racontant sa visite chez madame Moraines, son départ à lui pour Venise, son retour, les scènes qui avaient suivi, les deux passions parallèles qui s’étaient développées dans son cœur et dans celui de son ami pour finir par le suicide de l’un et l’avilissement de l’autre. « L’abbé a raison, » songea-t-il, « tout cela, c’est de grandes saletés… » Il se dit ensuite : « Oui, l’abbé sauvera René, il le forcera de partir, une fois guéri, de voyager six mois, un an ; il reviendra, délivré de cette horrible histoire. Il est jeune… Une âme de vingt-cinq ans, c’est une plante si vigoureuse, si verte ! Qui sait ? Il se laissera peut-être toucher par Rosalie, il l’épousera… Enfin, il triomphera. Il a souffert, il ne s’est pas avili… Mais moi ? » En quelques minutes, il dressa le tableau de sa situation actuelle : trente-cinq ans bien passés, pas une raison sérieuse de vivre, désordre en dedans et désordre au dehors, dans sa santé et dans sa pensée, dans ses affaires d’argent et dans ses affaires de cœur, un sentiment définitif du néant de la littérature et des hontes de la passion, avec une incapacité absolue d’abdiquer le métier d’homme de lettres et de quitter le