Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/14

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antithèses. Cela donne l’impression d’une sorte de pandémonium cosmopolite, tout ensemble éblouissant et sinistre, étourdissant et tragique, bouffon et poignant, où auraient échoué les épaves de tous les luxes et de tous les vices, de tous les pays et de tous les mondes, de tous les drames aussi et de toutes les histoires. Dans cette atmosphère étouffante et dans ce décor d’une richesse insolente d’abus et ignoble de flétrissure, les vieilles monarchies étaient représentées par trois princes de la maison de Bourbon, et les modernes par deux arrière-cousins de Bonaparte, tous les cinq reconnaissables à leur profil où se reproduisaient, en vagues mais sûres ressemblances, les effigies de quelques-unes des pièces, jaunes ou blanches, éparses sur le drap vert des tables. Ni ces princes ni leurs voisins n’y prenaient garde, non plus qu’à la présence d’un joueur qui avait porté le titre de roi dans un des petits États improvisés à même la péninsule des Balkans. Des gens s’étaient battus pour cet homme, des gens étaient morts pour lui, et sa propre couronne semblait beaucoup moins l’intéresser en ce moment que celles des monarques de pique ou de trèfle, de cœur ou de carreau, étalés sur le tapis du trente-et-quarante. À quelques pas, deux nobles Romains, de ceux dont le nom, porté par un pontife de génie, reste associé aux plus illustres épisodes dans l’histoire de l’Église, poursuivaient une martingale désespérée. Et rois et princes, petits-neveux de papes et cousins d’empereurs, coudoyaient, dans la promiscuité