Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/16

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curiosité éclairait d’un sourire mutin. Plus loin, les amateurs de philosophie politique auraient pu voir un des grands banquiers Israélites de Paris allonger sa mise à côté de celle d’un célèbre pamphlétaire socialiste. Ailleurs, un jeune homme consumé de phtisie et dont la pâleur tachée de pourpre, les traits creusés, les prunelles brûlantes, les mains décharnées disaient la mort prochaine, était assis contre un homme de sport auquel un teint éclatant, de larges épaules, une musculature d’Hercule promettaient quatre-vingts ans d’existence. Et tantôt la lumière blanche de l’électricité que des globes dardaient du plafond et des murs, tantôt la flamme jaune que projetait la mèche des lampes accrochées au-dessus des tables, faisaient saillir sur ce grouillement de foule des visages où se révélaient des différences non moins extraordinaires de sang et d’origine. Des faces de Russes, larges et mafflues, d’un type puissamment, presque sauvagement Asiatique, se juxtaposaient à des physionomies Italiennes d’une finesse et d’un style qui rappelaient les élégances des vieux portraits Toscans ou Lombards. Des têtes Allemandes, épaisses, comme mal dégrossies, d’une expression finaude dans la bonhomie, alternaient avec des têtes Parisiennes, spirituelles et fripées, qui rappelaient le boulevard et les couloirs des Variétés. De rouges et volontaires profils d’Anglais et d’Américains, sculptés en vigueur, racontaient l’entraînement de l’exercice, le hâle du grand air et aussi l’intoxication quotidienne