Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/33

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et dans le creux de ses paupières fatiguées révélait une anxiété, non pas momentanée, mais habituelle, un fond coutumier de préoccupations tristes. Mais s’il était vrai qu’il fût venu dans cet endroit pour y chercher une femme qu’il aimait, cette tristesse profonde s’expliquait trop naturellement. Il devait souffrir de la vie que menait cette femme, souffrir de son milieu, de ses plaisirs, de ses fréquentations, de choses d’elle qui n’étaient pas elle, — en souffrir jusqu’à l’angoisse et peut-être ne pas s’en rendre compte : il n’avait pas des yeux à juger ce qu’il aimait. En tout cas, s’il était, comme l’avait dit Corancez, un amoureux, à coup sûr il n’était pas un amant. Il n’avait, dans sa physionomie pure, ni les orgueils, ni la rancune de l’homme que des souvenirs sensuels ont entraîné à une déshonorante enquête de haineuse jalousie. Rien que la simplicité avec laquelle il s’enfonçait, il se noyait dans sa rêverie au milieu de ce public et sur le divan d’un Casino, attestait une jeunesse de cœur et d’imagination bien rare à son âge et dans son monde. Les compagnes de Corancez étaient elles-mêmes des femmes trop délicates pour ne pas sentir et goûter le charme et comme la saveur naïve de ce contraste, et toutes deux elles eurent une petite exclamation de pitié involontaire, chacune dans la langue de son pays

— « Com’è simpatico ! … » dit l’Italienne.

— « Oh ! you dear boy ! … » dit miss Florence.

— « Et de qui est-il amoureux ? » ajoutèrent-elles ensemble.