Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/346

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

homme dont les yeux disent ainsi : « Jouez la comédie, belle dame, soyez adulée, respectée, idolâtrée ! Moi je vous ai eue, et rien, entendez-vous, rien n’effacera cela… » Pour Ely, éprise comme elle l’était, toute vibrante encore des baisers échangés la nuit dernière avec Hautefeuille, cette impression fut trop pénible : elle en aurait crié si elle avait osé ! Elle n’eut plus qu’une idée : abréger cette visite, au terme de laquelle, si cette impression se prolongeait, elle n’était pas sûre d’aller sans défaillir. Mais, angoissée jusqu’à la torture, épouvantée jusqu’à l’agonie, elle était encore la grande dame, la demi-princesse, qui tient son rang à travers les pires explications, et elle eut une grâce altière pour dire à cet homme qui avait été son amant et de qui elle redoutait tout :

— Vous avez voulu me voir, monsieur. Je pouvais vous refuser ma porte. J’en avais peut-être le droit. Je ne l’ai pas fait… Je vous prie de vous souvenir, en me parlant, que cet entretien m’est extrêmement douloureux. Quoi que vous ayez à me dire, dites-le-moi sans un mot qui augmente encore ce malaise. Vous le pouvez. Vous voyez que je n’ai contre vous ni hostilité, ni rancune, ni défiance. Epargnez-moi les épigrammes, les insinuations et les duretés… C’est ma seule demande, et elle est juste. »

Elle avait parlé avec une dignité simple, où Olivier demeura étonné de ne plus trouver cet air de défi qui l’avait trop souvent exaspéré contre elle