Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/46

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voyage matrimonial de la marquise Bonaccorsi. Avant une heure, Corancez comptait présenter Hautefeuille, dans le wagon du train de retour, au potentat yankee. Pourquoi ne pas préparer dès maintenant cette présentation ?

— « Et moi, je t’assure, » reprit-il donc, « que cette colonie étrangère compte nombre d’hommes aussi intéressants que leurs femmes. L’étranger vaut l’étrangère. Nous n’y prenons pas assez garde, parce qu’il est moins joli à considérer, voilà tout. » Puis : « J’en aperçois un à cette table de jeu que je te ferai connaître. Tu as certainement rencontré sa nièce chez la baronne Ely… C’est Marsh, l’Américain… Je voudrais que tu le visses jouer… Bon, quelqu’un se lève… Ne me quitte pas, nous allons profiter du remous et arriver au premier rang… »

Et l’adroit Méridional trouva le moyen de se pousser, lui et Hautefeuille, à travers la foule des spectateurs soudain écartée, puis refermée. Il y mit tant d’à-propos, qu’installés tous deux juste derrière la chaise du croupier occupé à étaler les cartes, ils dominaient maintenant la table entière et les moindres gestes des joueurs.

— « Regarde bien, » disait de nouveau Corancez, à voix basse, « voici Marsh… »

— « Ce petit homme au teint gris, avec cette liasse de billets de banque devant lui ? »

— « C’est, lui-même. Il n’a pas cinquante ans et il vaut dix millions de dollars. À dix-huit ans il était conducteur de tramway à Cleveland, dans l’Ohio. Tel que tu le vois, il a fondé une ville qui