Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/48

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Tu ne l’as pas rencontré chez Mme de Carlsberg ? Sa femme est l’amie intime de la baronne Ely… Tout millionnaire qu’il est, regarde ses mains, comme elles sont nerveuses et avides. Tu observeras qu’il a le pouce en bille : c’est le signe du crime. Si ce gaillard-là n’est pas un voleur ! … Et sa façon de prendre les billets de banque… Ce geste raconte-t-il assez sa brutalité ? À côté de lui, veux-tu voir jouer un sot ? Regarde Chésy avec ses doigts pointus et lisses, les deux du milieu égaux, celui de Saturne et celui du Soleil. C’est le signe infaillible du joueur qui doit se ruiner, surtout s’il n’a pas plus de logique que n’en annonce le pouce de celui-ci. Et ça se croit malin ! Ça fait des affaires avec Brion qui, lui, fait la cour à Mme de Chésy. Tu vois la fin inévitable ? … »

— « Cette jolie Mme de Chésy, l’amie de ma sœur ? » fit Hautefeuille vivement, « et cet abominable Brion ? … C’est impossible… »

— « Je n’ai pas dit que ça y était, » dit le Méridional, « j’ai dit qu’étant donné cet imbécile de mari et son goût du jeu, ici et à la Bourse, ça risquait fort d’y être un jour… Ah ! tu t’indignes, monsieur le puritain, mais tu ne t’ennuies plus… Va, cet endroit n’est pas si banal quand on veut seulement ouvrir les yeux. Et, avoue-le : des deux Parisiens et du rastaquouère que nous venons de voir, l’homme intéressant, c’est le rastaquouère… »

Les deux jeunes gens avaient quitté leur poste d’observation sur cette dernière phrase. Corancez entraînait maintenant son compagnon vers les