Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/55

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l’entendissent prononcer cette phrase si étrangement inattendue.

— « Mais c’est à nous de lui demander qu’elle nous permette de lui prêter cet argent… » dit Pierre.

— « Je ne t’y engage pas, » fit l’autre, « Elle est très archiduchesse quand elle veut, la baronne, et j’ai idée qu’elle nous recevrait mal… D’ailleurs, il y aura bien quelque usurier pour acheter l’objet à ce prix-là, si l’homme aux lunettes refuse… Il lui répond en allemand… Il ne comprend pas… Tiens, que te disais-je ? … »

Comme pour justifier les prétentions de Corancez à la prophétie, et dans la minute même où Mme de Carlsberg répétait elle-même en allemand la question à son voisin, un profil busqué de marchand de bijoux avait fendu la foule, une main avait tendu le billet de cinq cents francs demandé, l’étui d’or avait déjà disparu, et la grande dame n’avait pas daigné seulement regarder le personnage, un des innombrables prêteurs d’argent qui font autour de ces tables une usure vainement pourchassée. Elle avait pris le billet, qu’elle maniait sans le déployer. Elle attendit que la rouge passât deux fois encore, parut hésiter, et, de la pointe de son râteau, poussa les vingt-cinq louis vers le croupier en disant :

— « Sur la rouge. »

La bille roula de nouveau. La noire sortit. Cette fois, la baronne Ely ramassa son éventail, sa bourse vide, et elle se leva. Dans le mouvement