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Page:Bourgogne - Mémoires du Sergent Bourgogne.djvu/178

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fâché, mon vieux, mais vous m’avez dit de vous prévenir, et il pourrait se faire que d’autres viennent de ce côté ! — C’est vrai, dit-il. Oh ! scélérat de métier ! Où sont-ils ? — Un peu sur la droite et hors de portée ! » Un instant après, cinq autres parurent qui passèrent devant nous, à demi-portée de fusil. En même temps, nous vîmes les premiers qui s’arrêtèrent et qui, mettant pied à terre en tenant leurs chevaux par la bride, firent un cercle autour d’un endroit où, probablement, ils avaient, la veille ou pendant la nuit, cassé la glace, afin de faire abreuver leurs chevaux, car on les voyait frapper avec le bois de leurs lances pour casser la glace nouvellement formée.

Nous décidâmes de lever le camp et de plier bagage le plus promptement possible et tâcher ensuite, par des manœuvres pour ne pas être vus, de rejoindre la route et l’armée, si nous pouvions.

Il pouvait être onze heures ; ainsi, jusqu’à quatre, où la nuit commençait à venir, s’il ne nous arrivait pas d’accident, nous pouvions faire encore du chemin. Je ne pensais pas que l’armée fût bien loin, puisque les Russes nous attendaient au passage de la Bérézina, où tous ses débris étaient forcés de se réunir.

Nous nous dépêchâmes. Picart mit dans son sac force provisions de viande. De mon côté, je fis comme je pus, en remplissant ma carnassière de toile. Picart voulut rejoindre la route par le chemin où nous étions venus, en suivant toutefois la lisière de la forêt, car, disait-il, si nous sommes surpris par les Russes, nous avons toujours, pour nous garantir, les deux côtés de la forêt, et, dans le cas où nous ne rencontrerions rien, nous avons un chemin qui nous empêchera de nous perdre.

Nous voilà en route, lui, le sac sur le dos, avec plus de quinze livres de viande fraîche dans l’étui de son bonnet à poil ; moi portant la marmite renfermant la viande cuite. Il me dit, en marchant, qu’il avait toujours eu pour habitude, lorsqu’il y avait plusieurs choses à porter dans l’escouade, de se charger de préférence des vivres, quelle que fût la quantité, parce que, en se chargeant des vivres, au bout de quelques jours, on finit par être le moins chargé ; et, à l’appui de ce qu’il me disait, il allait me citer Ésope, lorsque