CHAPITRE VIII
Je sentais sur mes paupières le poids du matin qui
marchait, il n’y a rien d’aussi triste que de voir
se lever le jour. La première clarté a les mêmes
yeux vides qui sont ouverts pour toujours dans le
visage des noyées, la pâleur échevelée de celles qui
sont mortes de leurs yeux de folles. À travers les
rideaux de mousseline étendus devant la fenêtre,
je guettais avidement la première couleur, la plus
furtive allusion à la vie. Un air rôdait sur les toits
comme pour donner le vertige au silence de ceux
qui n’avaient pas dormi ; l’horizon du regard éloignait
dans son vide affreux l’appel désespéré du
lointain qui se levait. Je demeurais coi, mais comme
si mon silence avait claqué des dents, je me taisais
avec tous les mots que je voulais crier, les premiers
venus, ceux que la pensée d’un homme déraisonnable
avait pour toujours imposés à ma terreur de
le comprendre : « Une femme m’a chassé, me disais-je,
de sa maison avant le jour ; et cette femme
n’est pas de ce monde, mais sans elle le monde ne
serait pas… » Alors, comme une réponse voilée par