CHAPITRE I
Afin de ne pas recevoir l’invité de ma servante,
je m’étais levé de table avant la fin de mon dîner.
En traversant mon bureau j’eus la surprise de trouver
un pli expédié par Monsieur Sureau. Il était
assez étonnant que mon pauvre ami eut mis cet
envoi à la poste au lieu de le confier à Nathalie qui
avait dû le voir le jour même avant de se rendre chez
moi. Mais à peine eus-je déchiré l’enveloppe que je
me retournai vivement au milieu de la foule qui sortait
des ateliers, décontenancé et un peu pris de
honte comme si quelques-unes de ces ouvrières ou
Nathalie elle-même avaient examiné indiscrètement
par dessus mon épaule la reproduction que je tenais à
la main. C’était la photographie d’un Apollon que
j’avais déjà vu au Musée du Louvre. Mais je remarquais
pour la première fois la transformation que la
force des siècles avait fait subir à ce torse de Dieu :
à travers ses mutilations successives ce corps s’était
absorbé dans une espèce de rayonnement où se gonflait
comme un fruit la forme d’une femme.
Il était gênant de se dire qu’un homme avait choisi